samedi 27 septembre 2014

Petite pause littéraro-apocalyptique. Un article qu'il est très gris.

La route, de Cormac McCarthy
 L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres. Un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites et de vieilles couvertures. Ils sont sur leurs gardes car le danger peut surgir à tout moment. Ils affrontent la pluie, la neige, le froid. Et ce qui reste d'une humanité retournée à la barbarie.
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"Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie."


      Infos complémentaires:
      Titre original: The Road (2006)
      Traduction par François Hirsch
      Edition: Points (2008)
      Nombre de pages: 250


La Route, c'est un bouquin qui me lorgnait depuis quelques années. Comme vous le savez certainement, une adaptation filmique est sortie en 2009. Je ne l'avais pas vue à l'époque, pas plus que maintenant, mais le film m'intéressait beaucoup, d'une part déjà à cause de l'ambiance post-apo très sombre, et d'autre part parce que Viggo Mortensen. Et Viggo, c'est Viggo. Bref, le film, et par extension le livre, me lorgnaient depuis un moment, quand je suis tombé sur ce dernier dans la bibilitothèque de parents à moi - oui parce que, j'ai beau être un ermite grincheux et misanthrope qui vit dans une grotte perdue au fin fond de la forêt, j'ai quand même une famille. Du coup, je leur ai emprunté, sans hésiter. Et sans vraiment leur demander leur avis, non plus, mais ils étaient au courant, donc on va dire que ça va.
Pourquoi est-ce que je vous raconte ça, alors que ça n'a aucun intérêt? Je n'en ai aucune fichtre idée. 

Toujours est-il que j'ai lu le bouquin. Dévoré, même, pour être exact. En effet, comme vous le devinez certainement, malins que vous êtes, ça a été un petit coup de coeur!

Un joli artwork mignon tout plein de Seamus Heffernan

Mais reviendons à nos bovidés...


On suit donc un père et son fils errant sur la fameuse "route", au beau milieu d'un monde complètement dévasté par une catastrope inconnue, en quête d'un meilleur endroit où vivre. Et globalement, je pourrais vous résumer le livre à ça, parce qu'il ne se passe pas grand-chose, du moins en apparence. Oh, bien sûr, leur périple est ponctué de rencontres plus ou moins malheureuses, mais jamais leur objectif ne change, comme si tout cela faisait partie de leur routine. Et c'est exactement de cela qu'il est question ici, en fait: la routine d'un père et  de son fils auxquels il ne reste plus rien, sinon eux-mêmes, et l'espoir, ce fil d'Ariane qui leur permet d'avancer. Espoir de quoi, en revanche - même cela ils semblent l'ignorer.

"On dit que les femmes rêvent des dangers qui menacent ceux dont elles prennent soin, et les hommes des dangers qui les menacent eux-mêmes. Mais moi, je ne rêve plus du tout."

Et c'est une des choses que j'ai beaucoup aimées dans ce bouquin: il avance à son rythme, sans chercher à donner dans l'extraordinaire ou le spectaculaire. Ceux qui me suivent depuis un petit moment doivent savoir maintenant que j'aime quand on prend son temps, et qu'on se contente de vivre. Hé bien là, c'est un peu ça - à la différence qu'il faudrait remplacer "vivre" par "survivre". Ici, nulle action d'éclat, de toute façon cet univers n'y serait pas propice. En fait, tout passe par les émotions. C'est un livre que j'ai trouvé très puissant à ce niveau-là, mais je serais bien incapable d'expliquer clairement de quoi il retourne. Je pense que, comme il ne se passe que peu de choses, et que l'on à rien à quoi se raccrocher, on vit tout à quatre cents pour cent aux côtés des deux personnages. La moindre action prend une importance démesurée, la moindre décision, le stress monte en flêche durant ces passages où tout instant d'inatention peut être fatal, les découvertes mêmes les plus anodines sont un vrai soulagement.
J'ai ressenti tellement de choses au cours de cette lecture: la haine, la colère, le désespoir, la tristesse, la peur, mais aussi et surtout l'espoir. Les deux protagonistes portent en effet en eux "la flamme", celle qui les pousse à avancer même lorsque tout semble désespéré, celle qui leur permet de se lever le matin pour continuer à marcher au milieu de ce paysage dévasté, celle qui leur permet de vivre, tout simplement. Et noms de Dieux, c'est du fort, ça! Proposer une telle ode à la vie au beau milieu d'un monde sans lumière, dans une histoire où la dépression déborde à chaque page, il fallait le faire!

Un très beau concept-art signé Zarahn Southon, qui retranscrit bien l'atmosphère du livre.
(dépression, quand tu tiiiens!)

Surtout qu'avec une écriture pareille, ce n'était pas forcément gagné d'avance: le style de Cormac McCarthy est en effet plutôt... particulier, à base de phrases courtes, incisives, avec des "et" à tous les coins, peu  de ponctuation (adieu les tirets et autres guillemets!) et surtout de descriptions, le tout pour un style très épuré. Alors oui, c'est spécial, mais tellement adapté (de mon point de vue, en tout cas) à la situation: pas d'avenir précis, on se contente de vivre l'instant présent sans savoir ce qu'il adviendra juste après, sans planifier, imaginer, prévoir. Et puis ça donne un petit côté "impersonnel" qui se marie parfaitement avec l'ambiance morne, grise sans chaleur, du récit.
En tout cas, il est certain que cette écriture ne convaincra pas tout le monde. Moi-même, j'ai eu beaucoup de mal, avant de m'y habituer et de réussir à plonger dans le récit - en partie grâce à elle, justement.

"Il sortit dans la lumière grise et s'arrêta et il vit l'espace d'un bref instant l'absolue vérité du monde. Le froid tournoyant sans répit autour de la terre intestat. L'implacable obscurité.Les chiens aveugles du soleil dans leur course. L'accablant vide noir de l'univers. Et quelque part deux animaux traqués tremblant comme des renards dans leur refuge. Du temps en sursis et en monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer."

Autre élément très important, au centre du livre, et surtout ce qui en fait la force, ce sont les deux personnages, le père et son fils, et surtout la relation qui les unit. On apprend finalement pas grand-chose sur eux, pas même leurs noms, puisqu'ils sont simplement appelés "l'homme" et "le petit". Sans doute parce que dans un univers pareil, cela n'a plus aucune utilité. Toujours est-il que la seule chose que l'on sait d'eux, c'est ce lien fort qui les unit, tout ce qui leur reste. Un lien qui ne fait que les rendre plus attachants. Epaulé par son père, le petit grandit, évolue, découvre la cruauté du monde, tandis que le père, lui, trouve dans la présence de son fils le courage de continuer à se battre, mais aussi une part de ce qui reste de bien en ce monde. Ce qui pourrait passer pour l'innocence et la naïveté touchante de l'enfant devient alors la force de ces derniers "gentils" qui parcourent encore le monde. Je dois dire que j'ai beaucoup aimé cette relation faite de hauts et de bas, dans laquelle plus d'une fois chacun va venir au secours de l'autre et faire preuve d'une force, d'un courage et d'une volonté quasi-inébranlables face aux pires difficultés.

Encore du Zarahn Southon!

Dernier point, mais non des moindres ("laste beut naute liste", comme disent nos amis d'outre-Manche) c'est tout simplement l'univers post-apocalyptique dans lequel évoluent nos personnages. L'environnement  - littéralement - tout gris, recouvert de cendres, froid, complètement désolé est rendu à la perfection non seulement par les quelques (rares!) descriptions, mais aussi par le climat général et le style de McCarthy - comme je l'ai déjà expliqué plus haut. Ici, pas de chants d'oiseaux ou de bestioles errantes, même les insectes sont des espèces éteintes. Le paysage est dévasté, les arbres brûlés, les villes, désertées. Tout ce qui reste de notre civilisation, ce sont des ruines et les souvenirs des quelques humains éparpillés le long de la route. Je dois dire que j'ai beaucoup aimé cette ambiance particulière. Pas que le spectacle d'une forêt brûlé soit une joie pour moi, mais j'apprécie énormément ce genre de décors glaucques, dévastés, sans vie, lorsque c'est bien foutu, et inutile de dire que là, c'est le cas. J'irai même jusqu'à dire que cet univers post-apocalyptique est le troisième "protagoniste" principal du récit, juste derrière l'homme et le petit.

"Le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement. Sans support dans l'air chargé de cendre. Soutenue par un souffle, tremblante et brève."

Le mot de la fin


En résumé, une ambiance pesante aux petits oignons, un décor post-apo très bien retranscrit, et une relation père-fils à la fois émouvante et réaliste. Certes, l'écriture est particulière, et il m'a fallu un temps d'adaptation, mais une fois celui-ci passé, je me suis surpris à adorer. Au final, j'en garderai le souvenir d'un livre puissant, noir et réaliste, un livre qui m'a pris aux tripes comme rarement.  Me reste plus qu'à aller voir le film, maintenant!

( Note: Livre fortement déconseillé aux éventuels dépressifs. Ce serait quand même dommage d'accélérer le processus sans le vouloir. )


Viggo, tel qu'il n'apparaît pas dans le film.

(Notez qu'en Freud, il a quand même la classe.)

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