samedi 4 octobre 2014

Le retour de l'ami Kafka!

Dans la colonie pénitentiaire et autres nouvelles, de Franz Kafka


"L'officier mit la machine en route et, dans le silence qui s'instaurait, le condamné fut couché sous la herse. On détacha les chaînes et, à leur place, on fixa les sangles : il sembla tout d'abord que, pour le condamné, ce fût presque un soulagement. Et puis la herse descendit encore un peu plus bas, car l'homme était maigre. Quand les pointes le touchèrent, un frisson parcourut sa peau... "


Infos complémentaires:
Traduction de Bernard Lortholary
Edition: GF - Flammarion (1991)
Nombre de pages: 200 pages environ



Kafka est un auteur que j'apprécie beaucoup. Je l'ai véritablement découvert l'année dernière, lors du Festival d'Avignon. Un malheureux concours de circonstances m'avait en effet poussé à aller voir une adaptation de La colonie pénitentiaire - oui, bon, en fait je suis arrivé en retard à une représentation* et du coup, je suis allé voir ailleurs. Une chouette adaptation, d'ailleurs, avec un acteur unique interprétant un Kafka en pleine phase d'invention. J'avoue que je ne savais pas trop à quoi m'attendre, vu que je ne connaissais pas trop Kafka, seulement sa réputation d'"auteur difficile à lire", et puis j'avais choisi ce spectacle un peu à la va-vite - parce que c'était dans le même quartier et à un horaire pas trop éloigné. Mais je n'ai finalement pas regretté d'y être allé, et aujourd'hui encore, j'en garde un très bon souvenir.
Toujours est-il que cette pièce m'a donné envie de découvrir à la fois l'auteur et le texte d'origine, et même s'il ne s'agissait évidemment "que" d'une adaptation, j'avais beaucoup aimé son style et son humour particulier. Il aura pourtant fallu un an pour que je me mette enfin à redécouvrir ce texte, après lectures d'autres de ses écrits, tels que La métamorphose, Description d'un combat, et Le procès. (dont la chronique se trouve d'ailleurs ici) Mais trève de billevesées, puisque ce tort est désormais réparé, entrons dans le vif du sujet sans plus attendre!

Pour les curieux et les éventuels intéressés, la mise en scène est 
signée Laurent Caruana, avec André Salzet dans le rôle unique. 
Si vous en avez l'occasion, allez voir ce spectacle. (Si, si.)

Notez que j'ai choisi de traiter chacun des quatre textes qui composent le recueil de façon indépendante, puisqu'ils n'ont aucun lien explicite entre eux sinon leur auteur, et surtout ont été à l'origine publiés individuellement.


Considération (1912) - Betrachtung
Un ensemble de courts textes sur des thématiques variées, allant des commerçants aux robes des jeunes filles, souvent sous forme de petites "remarques" ou "réflexions" sur ces dits-sujets. Si la plupart m'ont laissé quelque peu indifférent (je dois dire que j'en ai même oublié un bon nombre), j'apprécie néanmoins toujous l'aisance de Kafka à manier la langue, son humour et son univers absurde. Je retiens nottamment quelques textes, à savoir les plus longs, donc ceux qui ont davantage eu le temps de planter leur décor, comme Malheur, dans lequel un homme se voit engager une conversation avec le jeune fantôme de son immeuble. Petit bijou d'absurdité, tant les réactions des deux protagonistes, la conversation et les remarques faites au voisin quant à cette apparition mystérieuse sont en total décalage avec la situation présente. Du Kafka tout craché, quoi, et qui n'est pas sans m'avoir rappelé La Métamorphose.
Malgré tout, à l'exception de ces quelques rares textes cette "considération" est loin d'avoir été mémorable pour ma part, et je suis resté un peu sur ma faim, même si c'est demeuré un moment de lecture sympathique. Un bon petit "amuse-bouche" avant La colonie pénitentaire, disons.

"Est-ce que vous vous imaginez que je crois aux fantômes? Mais à quoi m'avance de ne pas y croire?"


Le Verdict (1913) - Das Urteil
Une nouvelle qui présente les rapports conflictuels entre un vieux père et son fils, Georg, qui s'apprête à se marier. La dispute tourne autour d'un ami parti vivre en Russie avec lequel les deux entretiennent chacun de leur côté une correspondance, et de la fiancée de Georg. "Vaincu" par son père, ce dernier finit par obéir à sa volonté, et se suicide en se jetant dans le fleuve. J'ai moins apprécié cette nouvelle, je dois dire, surtout cette fin que j'ai trouvé très étrange et insatisfaisante, et ce même pour du Kafka. A vrai dire, j'ai commencé à perdre un peu le fil du récit au moment où le père dévoile qu'il a une correspondance avec l'ami, et à partir de là, j'ai trouvé que ça partait un peu dans tous les sens. (oui, encore une fois, même pour du Kafka) Le début pourtant, me plaisait, cette espèce de situation conflictuelle père-fils, et cet ami à qui Georg masque la vérité dans ses lettres. Mais les "révélations" du père m'ont rapidement rendu la situation désagréable, un peu comme si j'étais à la place de Georg, justement. J'ai commencé à perdre le fil, et si la fin m'a fortement déplu, j'étais en revanche bien content d'en avoir terminé avec Le Verdict.
Loin d'être un mauvais texte, cette nouvelle est certes bien écrite, mais je n'ai pas du tout réussi à accrocher. Sans doute n'ai-je pas été suffisamment sensible à ce qui était implicitement dit, aux thèmes abordés. Dommage!

"Comme tu as hésité longtemps avant d'être enfin mûr ! Il a fallu que ta mère meure, elle n'a pas pu vivre ce jour de joie, ton ami dépérit dans sa Russie, il y a trois ans, il était déjà jaune à jeter, et moi, tu vois bien à quel point j'en suis. Tu as des yeux pour voir."


Dans la colonie pénitentiaire (1919) - In der Strafkolonie
On attaque le plat de résistance! Un fonctionnaire étranger (français, peut-on supposer) est en visite dans une colonie pénitentiaire. Un officier, qui lui sert de guide, en profite pour lui faire la démonstration d'une machine servant à l'exécution capitale des condamnés. Un engin de torture, également, comme le découvrira bientôt le voyageur, et qui suscite des désaccords au sein même de la colonie.
J'ai retrouvé avec bonheur ce texte qui m'avait fait aimer Kafka. Inutile de vous le dire, je pense, mais j'en suis vraiment très fan! L'auteur y dévoile tout son génie pour l'écriture et les histoires originales autant qu'absurdes. La nouvelle surprend en même temps qu'elle interroge (quel sens trouver à l'action finale de l'officier, en quoi sa notion de la justice peut-elle prétendre être juste...) et le tout reste assez subtil. Et comme d'habitude, pour peu que l'on réussisse à prendre le texte au second degré, malgré la situation qui peut paraître somme toute assez horrible, c'est très drôle - en tout cas, moi, je me suis beaucoup amusé! C'était d'ailleurs très perceptible - j'y reviens - lors de l'adaptation théâtrale, pendant laquelle la salle riait de bon coeur. Hé oui! On peut rire sur du Kafka!** (avis aux mordus d'humour absurde!)
J'insiste là-dessus, parce que Kafka a aujourd'hui une réputation d'auteur difficile à lire, mais pour peu qu'on se penche vraiment sur ses textes, c'est loi d'être aussi laborieux qu'on le prétend. Alors j'aimerais beaucoup vous pousser à faire fi de ces préjugés foireux et vous intéresser à Kafka, quitte à ne lire que ce texte - un des, sinon le, meilleur, selon moi - et un de mes préférés, tous auteurs confondus! (même si j'aurais préféré qu'il soit un peu plus long)


"Mais qu'il est condamné, il le sait, tout de même ?"


Un médecin de campagne (1919) - Ein Landarzt Kleine Erzahlungen
Bon, après le plat de résistance, passons au dessert. Et ma foi, un dessert plutôt bon! Tout comme Considération, nous avons affaire ici à un ensemble de courts textes assez variés, mais qui, contrairement à ce derniers, sont davantage des "petites histoires" que des "réflexions". Et je dois dire que j'ai beaucoup plus apprécié! Kafka dévoile tout son univers étrange et original dans ces petites histoires absurdes et pleines d'humour, qui ne m'ont jamais lassé. Je retiendrai particulièrement l'histoire éponyme Un médecin de campagne, mais surtout Un compte-rendu pour une académie, qui conclut le recueil, et dans laquelle un singe arraché à sa nature, puis finalement "humanisé" fait le récit de son expérience, et de son évolution, à des académiciens. C'est absurde, c'est très drôle, c'est maîtrisé et ça peut éventuellement faire s'interroger sur la condition humaine. Somme toute, une agréable surprise, et une jolie conclusion pour ce petit recueil Kafkasien!

" C'était si facile d'imiter les gens. Je sus cracher dès les premiers jours. Nous nous chrachâmes désormais à la figure; la seule différence était qu'ensuite je me léchais la face, non eux."


Le mot de la fin


Contrairement à d'autres oeuvres de Kafka qui n'étaient clairement pas destinées à la publication et restaient de ce fait inachevées, ici on a affaire à un recueil de textes beaucoup plus aboutis. Kafka y démontre toute sa virutosité à jouer avec les mots, les situations, et déploie toute son imagination pour nous dépeindre des tableaux absurdes, farfelus, et très originaux, avec toujours beaucoup d'humour et un certain cynisme. Si le recueil dans son intégralité est loin d'être indispensable, La colonie pénitentiaire, en revanche, est un incontournable qui lui donne tout son intérêt! Je le redis, mais sincèrement, si vous ne deviez lire qu'un seul texte de l'ami Kafka, c'est clairement sur celui-ci qu'il vous faut vous jeter!

-----
Avec cette seconde chronique, je mets fin au Challenge Kafka de mon côté, en ayant plus ou moins rempli mes objectifs. ...bon, d'accord, j'ai quatre mois de retard... mais je me suis inscrit super-tard, donc on va dire que ça passe, non? Et puis en plus, j'aime pas les dates...


-----

(Au fait, je me rends compte que j'appelle toujours Kafka, "l'ami Kafka"... Si quelqu'un a une explication, je suis preneur...)
____________________

* Mais j'ai une bonne excuse: j'attendais quelqu'un. Par contre, j'avais eu le malheur d'avoir déjà payé mon billet, et ces bran marauds n'ont pas voulu me rembourser. Je ferai plus gaffe, la prochaine fois.
** Petite anecdote au passage (sérieuse, pour une fois) il arrivait à Kafka de lire ses textes à voix haute à ses amis, des lectures, qui, croyez-le ou non se faisaient sous le signe de la franche rigolade, aussi bien pour l'auteur-lecteur que pour son public! Comme quoi...
____________________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire