vendredi 31 octobre 2014

Les Mémoires du Père des Dieux en bédoche, par lui-même (ou presque)

Odin, tomes 1 et 2 (bande-dessinée)


Infos complémentaires:
Série: Odin (2 tomes)
Auteurs: Jarry (scénario), Seure-Le Bihan (dessin)
Edition: Soleil Celtic - Légendes Nordiques (2010 - 2012)
Pages: 60 - 63


"Thidi, Alfadir, Bolverk, Begtam, Harbard...
J'ai presque autant de nom qu'Yggdrasil a de feuilles...
Je suis le Seigneur d'Asgard et Père des Hommes."

Odin et Sleipnir, le cheval à huit pattes

Alors que le Ragnarök approche à grand pas, et avec lui la fin du monde, Odin se remémore sa vie passée, depuis la création du monde. La fondation du Royaume d'Asgard, les discordes entre les peuples mais aussi les Dieux, la trahison de Loki, autant d'évènements qui ont marqué son existence. L'heure de la bataille sonne finalement, et avec elle celle de sa chute, pas seulement la sienne, mais aussi celle de tout ce qu'il a créé. Ce dyptique de Jarry et Seure-Le Bihan retrace l'histoire de celui qui fut le plus grand des Dieux scandinaves.

Comme un vieux papy, le Père des Hommes prend lui-même la parole et nous fait le récit de son histoire. Il se crée alors une espèce de détachement, comme si, pas seulement pour nous, mais aussi pour lui, tout cela n'était plus qu'une vieille légende. On y découvre, loin de l'image de l'invincible créateur, un dieu affaibli, inquiet, en proie au doute, presque humain en somme. Un dieu qui par péché d'orgueil, a pris le pouvoir sur le monde et cherché à atteindre le savoir infini, avant de voir se retourner contre lui ses anciens ennemis, représentés par Loki en personne.
Evidemment, on est loin d'avoir un récit traitant de toute la mythologie norroise. Le récit d'Odin, qui passe sous silence de nombreux évènements, et simplifie les autres à l'extrême, offre finalement une vision extrêmement simplifiée de l'histoire d'Asgard: elle se concentre en effet presque uniquement sur des éléments ayant conduit plus ou moins directement au Ragnarök. Certes, c'est sans doute dans la volonté de l'oeuvre, de montrer un dieu finalement plus faible qu'il n'y paraît, et qui s'avance inexorablement vers sa chute, quoi qu'il entreprenne pour l'en empêcher. Mais il est dommage que d'un autre côté, cela réduise considérablement la mythologie Asgardienne à la création du monde, le Crépuscule des Dieux, et sa préparation. Pour le lecteur néophyte, il faudra donc impérativement se tourner vers d'autres oeuvres plus accessibles et qui embrassent davantage cette mythologie, avant de revenir vers ce sympathique dyptique, qui en offre une vision très particulière.
J'aime particulièrement le chara-
design des trois Nornes!

Si j'ai trouvé la narration particulière et que le "détachement" - évoqué plus haut - m'a empêché de rentrer pleinement dans le récit, il faut bien avouer en revanche que visuellement, c'est un vrai régal! Le premier tome, surtout consacré à la création du monde et à l'établissement du Royaume des dieux, nous offre entre autres des planches superbes, fourmillant de détails, et une colo soignée. De très belles doubles pages, à la façon des gravures médiévales, ponctuent régulièrement le récit, ramenant à l'origine scandinave de ces vieilles légendes. J'ai également beaucoup apprécié l'interprétation originale de Seure-Le Bihan des personnages, des lieux,... entre inspirations tribales et médiévales, ce qui redonne un coup de neuf à ces vieux mythes scandinaves, et une patte graphique unique à la série et d'une très grande richesse! 
Le second tome, davantage consacré au Ragnarök, est un peu moins maîtrisé graphiquement, et s'éparpille un peu plus au niveau de l'écriture; j'ai regretté ainsi que le choix particulier de narration ne rende pas la bataille finale aussi épique qu'elle devrait sans doute l'être. Ce tome reste néanmoins également très réjouissant, et offre une jolie conclusion à ce dyptique consacré au Père des Dieux.

Bilan des courses


Si ce dyptique constitue un bel hommage à la mythologie scandinave, c'est surtout au niveau visuel que se situe son intérêt. Seure-Le Bihan réinvente les figures mythiques scandinaves avec imagination - et brio! Narrativement parlant, l'oeuvre m'a laissé en revanche un peu dubitatif, et je n'ai pas réussi à me plonger totalement dans ce récit, quoique j'aie trouvé le point de vue abordé plutôt intéressant. Il est certain en tout cas que je conseillerais davantage l'oeuvre à des lecteurs connaissant déjà la mythologie norroise, un néophyte en la matière pouvant avoir du mal à comprendre toutes les références du récit, et se perdre dans cet univers incroyablement riche et tellement simplifié. Une bande-dessinée très intéressante donc, graphiquement surtout, mais pourtant pas indispensable, et qui viendra surtout en complément d'autres oeuvres pour les amateurs de mythologie nordique, plutôt que pour ceux qui souhaiteraient la découvrir par le biais de ce récit.



Ce dyptique consacré au roi des Dieux d'Asgard constitue (enfin!) ma première
 participation au Challenge Viking du Vampire Aigri:


dimanche 26 octobre 2014

Rencontre sympathique avec un jeune enquêteur médiéval

L'hiver des loups, de Evelyne Brisou-Pellen

Poursuivi par les loups qui pullulent en cet hiver très froid, Garin trouve refuge dans une maison isolée où vit Jordane, seule avec ses deux petites sœurs.Qui est-elle ? Garin se rend compte que les villageois en ont peur, presque autant que les loups qui les encerclent. Mais il découvre bientôt que dans ce village retiré de Bretagne, bien des gens ont intérêt à voir Jordane disparaître. Malgré les conseils de prudence, il prend pension dans la maison solitaire. Il ne peut pas savoir, que du haut de la colline, des yeux épient...
----- 

"Jordane se sentait mal. Elle avait peur. Peur des loups, ou peur pour les loups, elle ne savait pas."


Infos complémentaires:
Série: Garin Trousseboeuf (II)
Edition: Folio Junior (1998)
Illustrations de Nicolas Wintz
200 pages environ

Note: excusez la qualité déplorable de certaines images. Comme je n'ai pas retrouvé sur Internet les illustrations intérieures du livre, que je voulais vraiment vous montrer, j'ai fait ça de façon artisanale, rapidement et avec le matos à ma disposition, et donc n'importe comment. Voilà.


Certains me diront que je suis trop vieux pour ça, mais quand on aime, on ne compte pas, et ça vaut aussi pour les ans. Et puis, il fallait bien que je m'y mette un jour ou l'autre. Pour la petite explication, j'ai toujours été un gros lecteur. Du coup, il n'était pas rare lorsque j'étais plus jeune que ma môman (que j'aime beaucoup même si elle a régulièrement le don de m'énerver) m'achète des livres, en plus de m'amener à la bibilitothèque. Avec le temps et les ans, j'ai fini par me les acheter moi-même, mais il reste toujours sur mes étagères des bouquins que j'ai depuis cette époque, et que je n'ai toujours pas lus. Récemment, dans une volonté de faire enfin connaissance avec ces inconnus qui m'accompagnaient depuis l'enfance, j'ai décidé de lire un de ces livres en question de temps en temps. C'est ainsi que je me suis attaqué à "L'hiver des loups", le second tome des aventures de Garin Trousseboeuf - et oui, je commence par la suite. Il faut croire que la malédiction du tome 1 qui touche ma mère ne date pas d'hier.

En tout cas, les illustrations de Nicolas Wintz sont bien sympa, et plongent tout de suite dans l'ambiance!

L'histoire nous plonge en plein Moyen-Âge, durant l'hiver 1354. Dans ce tome, on retrouve donc Garin, perdu durant son périple en pleine cambrousse bretonne. L'hiver fait des ravages, les loups sont à ses trousses, il n'a d'autre choix que de trouver refuge chez la jeune Jordane, une fillette de douze ans en charge de ses deux petites soeurs, et dont les parents sont aux abonnés absents. Il s'avère en réalité que sa mère est décédée, et son père parti depuis des années en pélerinage, et que la jeune fille est délaissée par les villageois, qui la soupçonnent d'être de mèche avec les loups, et donc l'accusent de sorcellerie.
Afin de garder un oeil sur la situation, et surtout de pouvoir aider Jordane en cas de besoin, Garin s'installe alors quelques temps au village comme scribe. Au fil du temps, des évènements, il réalisera finalement que si les loups semblent selon les dires des villageois menacer la région sous le commandement de Jordane, il s'agit en réalité d'une conspiration destinée à se débarrasser de la jeune fille. Car de nombreuses personnes auraient intérêt à la voir disparaître, mais Garin devra faire preuve d'adresse et d'intelligence afin de confondre le véritable coupable...

Au Moyen-Âge, inutile de rappeler que les loups n'étaient pas
très bien vus. Sur ce dessin du XVe siècle, ils sont représentés en
véritables monstres assoiffés de sang, et s'attaquent à un village.
Pour une première rencontre avec le personnage, j'aurais tout de même aimé que le volume se concentre davantage sur Garin. Pas que la petite Jordane soit un personnage déplaisant, bien au contraire, mais du coup, Garin en passerait presque au second plan. Plutôt dommage, non? Surtout que du coup, à mes yeux, l'enquête en a un peu pâti: j'ai eu l'impression qu'elle était sans cesse repoussée, interrompue; et surtout, lorsque Garin se secoue enfin un peu les miches, vers les derniers chapitres, qu'elle se terminait alors qu'elle venait tout juste de débuter véritablement! 
M'enfin, l'enquête s'en tire tout de même bien, puisque, même si Garin n'est pas des masses impliqué dedans au début, les nombreux éléments, apparemment sans rapport, disséminés un peu partout viennent peu à peu s'agencer pour former le tableau final. L'histoire connaît également quelques rebondissement intéressants, qui font régulièrement douter de la sincérité et des véritables motivations des personnages. Hé oui! Il faut éviter de se fier aux apparences, dans L'hiver des loups, car elles peuvent se révéler fort trompeuses! Dans cette optique, j'ai été plutôt surpris par l'identité du coupable. Je ne dis pas que ce n'était pas crédible, incohérent, ou quoi, bien au contraire, c'était même parfaitement logique! Mais voilà... Je l'aimais bien ce personnage, moi! (je ne vous en dis pas plus, parce que le spoil, c'est quasi le Mal absolu.)
Un autre petit regret concerne les loups, les autres stars du tome. J'adore les loups, hein, ce n'est pas le problème, et leur rôle dans l'intrigue mi-acteurs/mi-éléments déclencheurs m'a parfaitement convenu, mais j'ai trouvé qu'ils étaient parfois un peu trop idéalisés, aux dépens des villageois, à la fois par la narration et parfois même par Garin. Oui, ils ont autrefois recueilli et sauvé Jordanhe, bien sûr qu'ils n'y sont pour rien dans l'affaire, évidemment qu'ils ne sont pas à l'origine de tous les maux. Mais on est au Moyen-Âge, et ils sont à l'époque universellement reconnus comme mauvais. Aussi, à cette époque, ceux qui pensent ainsi ne sont pas forcément des bouseux débiles, il y a aussi certains érudits ou gens intelligents, même parmi les paysans. Certes, c'est faux, mais les loups ne sont pas non plus des Saints, ce sont des animaux, qui peuvent dévorer les bêtes et s'attaquent parfois - mais rarement - aussi aux humains. Les villageois, même s'ils sont
Bon, je vous les dis de suite: j'adore les loups.
Je trouve vraiment que ce sont des animaux magnifiques!
dans l'erreur, ne cherchent au fond qu'à se protéger de ceux qu'ils pensent être une menace. (bon, il y aussi une part de vengeance personnelle là-dedans de la part de certains d'entre eux, mais bref.) Pour résumer, j'aurais bien aimé un propos plus nuancé vis-à-vis des loups, qui sont certes des animaux fascinants, mais bien des animaux et pas des martyrs ou des saints, mais aussi des villageois qui pâtissent un peu de cette image trop idéalisée. Certes, ce sont des paysans médiévaux, qui n'ont guère reçu d'instruction, alors ils ne sont sans doute pas très fute-fute, excusez-les, mais ce ne sont pas pour autant des gros débiles marlpropres et méchants.
C'est dommage, parce qu'à part ça, l'histoire tient vraiment la route, c'est intelligent, bien écrit, sans prise de tête. Même si l'écriture par moment s'adresse clairement à des lecteurs plus jeunes que moi, à aucun moment je n'ai trouvé le récit naïf ou enfantin. Garin est un gamin avec beaucoup d'humour, intelligent, charismatique et débrouillard, un bon héros, quoi. L'enquête est plutôt bien foutu, et le contexte médiéval est bien retranscrit, sans être non plus envahissant. Non, sérieusement, si vous avez de jeunes enfants à qui faire aimer la lecture (ou qui l'aiment déjà), faites-leur lire "Garin Trousseboeuf". En tout cas, ce tome fut pour moi une très bonne découverte. Il m'en reste quelques-uns encore à rattraper, je pense que je ne vais pas longtemps hésiter!


-----

Renouons rapidement le temps de cet article avec la rubrique "Art, lectures et limonade". Je vous propose donc aujourd'hui cette enluminure tirée du Bestiaire d'Aberdeen, datée du XIIe siècle, représentant un loup prêt à attaquer une bergerie.




______________

L'article a traîné un peu pendant trois semaines, mais enfin il est là, et peut constituer ma première participation au Challenge médiéval de Hérisson!


dimanche 5 octobre 2014

Nouveau challenge livresque. Ça ne vous étonne même plus, avouez... [post-it 07]

Il faut croire que depuis peu, j'ai été atteint par un méchant virus. En effet, comme vous pouvez le constater, je me suis inscrit à un nouveau challenge! Ça commence à faire beaucoup, hein? Mais bon, disons que celui-ci vient remplacer le Challenge Kafka, que j'ai enfin achevé hier. "Mais tu nous fait languir, qu'est-ce donc que ce nouveau challenge?" me demanderiez-vous, pour peu que vous en ayez quelque chose à faire. Hé bien c'est très simple, il s'agit du:

Challenge Moyen-Âge, organisé par Hérisson!



Rendez-vous sur la page officielle du Challenge en cliquant ici!

Le principe, vous le connaissez déjà, mais même si ça vous ennuie, je le résume rapidement: il s'agit tout simplement de lire et de chroniquer un certain nombre de livres se déroulant pendant ou traitant du Moyen-Âge - une période qui, rappelons-le, s'étend de 476 à 1492. (Un peu de précision, c'est toujours sympatoche! :) )

Il n'y a pas de limites de temps, ce qui est juste monstrueusement cool, et tous les types de livres sont autorisés: romans, albums, bandes-dessinées...

Comme d'hab', différentes catéogires, qui sont: 

- Niveau Moine : au moins 1 livre 
- Niveau Scribe : au moins 3 livres 
- Niveau Chevalier : au moins 5 livres 

Comme je me sens un Rohirrim fier combattant plein d'honneur dans l'âme, je me suis choisi directement le Niveau Chevalier. Ça n'est peut-être pas très crédible venant de ma part, mais croyez-le ou non, je sais monter à cheval et agiter une épée! (bon, très basiquement, mais tout de même!)

-----

Allez sur ce, à biental bande de petits sacripants, pour la première chronique sur le sujet, qui ne devrait pas tarder! (oui, je suis un petit fourbe: je m'inscris à des challenges lorsque j'ai des chroniques en cours qui peuvent y prétendre... mais c'est le jeu, ma pauvre Lucette!)



samedi 4 octobre 2014

Le retour de l'ami Kafka!

Dans la colonie pénitentiaire et autres nouvelles, de Franz Kafka


"L'officier mit la machine en route et, dans le silence qui s'instaurait, le condamné fut couché sous la herse. On détacha les chaînes et, à leur place, on fixa les sangles : il sembla tout d'abord que, pour le condamné, ce fût presque un soulagement. Et puis la herse descendit encore un peu plus bas, car l'homme était maigre. Quand les pointes le touchèrent, un frisson parcourut sa peau... "


Infos complémentaires:
Traduction de Bernard Lortholary
Edition: GF - Flammarion (1991)
Nombre de pages: 200 pages environ



Kafka est un auteur que j'apprécie beaucoup. Je l'ai véritablement découvert l'année dernière, lors du Festival d'Avignon. Un malheureux concours de circonstances m'avait en effet poussé à aller voir une adaptation de La colonie pénitentiaire - oui, bon, en fait je suis arrivé en retard à une représentation* et du coup, je suis allé voir ailleurs. Une chouette adaptation, d'ailleurs, avec un acteur unique interprétant un Kafka en pleine phase d'invention. J'avoue que je ne savais pas trop à quoi m'attendre, vu que je ne connaissais pas trop Kafka, seulement sa réputation d'"auteur difficile à lire", et puis j'avais choisi ce spectacle un peu à la va-vite - parce que c'était dans le même quartier et à un horaire pas trop éloigné. Mais je n'ai finalement pas regretté d'y être allé, et aujourd'hui encore, j'en garde un très bon souvenir.
Toujours est-il que cette pièce m'a donné envie de découvrir à la fois l'auteur et le texte d'origine, et même s'il ne s'agissait évidemment "que" d'une adaptation, j'avais beaucoup aimé son style et son humour particulier. Il aura pourtant fallu un an pour que je me mette enfin à redécouvrir ce texte, après lectures d'autres de ses écrits, tels que La métamorphose, Description d'un combat, et Le procès. (dont la chronique se trouve d'ailleurs ici) Mais trève de billevesées, puisque ce tort est désormais réparé, entrons dans le vif du sujet sans plus attendre!

Pour les curieux et les éventuels intéressés, la mise en scène est 
signée Laurent Caruana, avec André Salzet dans le rôle unique. 
Si vous en avez l'occasion, allez voir ce spectacle. (Si, si.)

Notez que j'ai choisi de traiter chacun des quatre textes qui composent le recueil de façon indépendante, puisqu'ils n'ont aucun lien explicite entre eux sinon leur auteur, et surtout ont été à l'origine publiés individuellement.


Considération (1912) - Betrachtung
Un ensemble de courts textes sur des thématiques variées, allant des commerçants aux robes des jeunes filles, souvent sous forme de petites "remarques" ou "réflexions" sur ces dits-sujets. Si la plupart m'ont laissé quelque peu indifférent (je dois dire que j'en ai même oublié un bon nombre), j'apprécie néanmoins toujous l'aisance de Kafka à manier la langue, son humour et son univers absurde. Je retiens nottamment quelques textes, à savoir les plus longs, donc ceux qui ont davantage eu le temps de planter leur décor, comme Malheur, dans lequel un homme se voit engager une conversation avec le jeune fantôme de son immeuble. Petit bijou d'absurdité, tant les réactions des deux protagonistes, la conversation et les remarques faites au voisin quant à cette apparition mystérieuse sont en total décalage avec la situation présente. Du Kafka tout craché, quoi, et qui n'est pas sans m'avoir rappelé La Métamorphose.
Malgré tout, à l'exception de ces quelques rares textes cette "considération" est loin d'avoir été mémorable pour ma part, et je suis resté un peu sur ma faim, même si c'est demeuré un moment de lecture sympathique. Un bon petit "amuse-bouche" avant La colonie pénitentaire, disons.

"Est-ce que vous vous imaginez que je crois aux fantômes? Mais à quoi m'avance de ne pas y croire?"


Le Verdict (1913) - Das Urteil
Une nouvelle qui présente les rapports conflictuels entre un vieux père et son fils, Georg, qui s'apprête à se marier. La dispute tourne autour d'un ami parti vivre en Russie avec lequel les deux entretiennent chacun de leur côté une correspondance, et de la fiancée de Georg. "Vaincu" par son père, ce dernier finit par obéir à sa volonté, et se suicide en se jetant dans le fleuve. J'ai moins apprécié cette nouvelle, je dois dire, surtout cette fin que j'ai trouvé très étrange et insatisfaisante, et ce même pour du Kafka. A vrai dire, j'ai commencé à perdre un peu le fil du récit au moment où le père dévoile qu'il a une correspondance avec l'ami, et à partir de là, j'ai trouvé que ça partait un peu dans tous les sens. (oui, encore une fois, même pour du Kafka) Le début pourtant, me plaisait, cette espèce de situation conflictuelle père-fils, et cet ami à qui Georg masque la vérité dans ses lettres. Mais les "révélations" du père m'ont rapidement rendu la situation désagréable, un peu comme si j'étais à la place de Georg, justement. J'ai commencé à perdre le fil, et si la fin m'a fortement déplu, j'étais en revanche bien content d'en avoir terminé avec Le Verdict.
Loin d'être un mauvais texte, cette nouvelle est certes bien écrite, mais je n'ai pas du tout réussi à accrocher. Sans doute n'ai-je pas été suffisamment sensible à ce qui était implicitement dit, aux thèmes abordés. Dommage!

"Comme tu as hésité longtemps avant d'être enfin mûr ! Il a fallu que ta mère meure, elle n'a pas pu vivre ce jour de joie, ton ami dépérit dans sa Russie, il y a trois ans, il était déjà jaune à jeter, et moi, tu vois bien à quel point j'en suis. Tu as des yeux pour voir."


Dans la colonie pénitentiaire (1919) - In der Strafkolonie
On attaque le plat de résistance! Un fonctionnaire étranger (français, peut-on supposer) est en visite dans une colonie pénitentiaire. Un officier, qui lui sert de guide, en profite pour lui faire la démonstration d'une machine servant à l'exécution capitale des condamnés. Un engin de torture, également, comme le découvrira bientôt le voyageur, et qui suscite des désaccords au sein même de la colonie.
J'ai retrouvé avec bonheur ce texte qui m'avait fait aimer Kafka. Inutile de vous le dire, je pense, mais j'en suis vraiment très fan! L'auteur y dévoile tout son génie pour l'écriture et les histoires originales autant qu'absurdes. La nouvelle surprend en même temps qu'elle interroge (quel sens trouver à l'action finale de l'officier, en quoi sa notion de la justice peut-elle prétendre être juste...) et le tout reste assez subtil. Et comme d'habitude, pour peu que l'on réussisse à prendre le texte au second degré, malgré la situation qui peut paraître somme toute assez horrible, c'est très drôle - en tout cas, moi, je me suis beaucoup amusé! C'était d'ailleurs très perceptible - j'y reviens - lors de l'adaptation théâtrale, pendant laquelle la salle riait de bon coeur. Hé oui! On peut rire sur du Kafka!** (avis aux mordus d'humour absurde!)
J'insiste là-dessus, parce que Kafka a aujourd'hui une réputation d'auteur difficile à lire, mais pour peu qu'on se penche vraiment sur ses textes, c'est loi d'être aussi laborieux qu'on le prétend. Alors j'aimerais beaucoup vous pousser à faire fi de ces préjugés foireux et vous intéresser à Kafka, quitte à ne lire que ce texte - un des, sinon le, meilleur, selon moi - et un de mes préférés, tous auteurs confondus! (même si j'aurais préféré qu'il soit un peu plus long)


"Mais qu'il est condamné, il le sait, tout de même ?"


Un médecin de campagne (1919) - Ein Landarzt Kleine Erzahlungen
Bon, après le plat de résistance, passons au dessert. Et ma foi, un dessert plutôt bon! Tout comme Considération, nous avons affaire ici à un ensemble de courts textes assez variés, mais qui, contrairement à ce derniers, sont davantage des "petites histoires" que des "réflexions". Et je dois dire que j'ai beaucoup plus apprécié! Kafka dévoile tout son univers étrange et original dans ces petites histoires absurdes et pleines d'humour, qui ne m'ont jamais lassé. Je retiendrai particulièrement l'histoire éponyme Un médecin de campagne, mais surtout Un compte-rendu pour une académie, qui conclut le recueil, et dans laquelle un singe arraché à sa nature, puis finalement "humanisé" fait le récit de son expérience, et de son évolution, à des académiciens. C'est absurde, c'est très drôle, c'est maîtrisé et ça peut éventuellement faire s'interroger sur la condition humaine. Somme toute, une agréable surprise, et une jolie conclusion pour ce petit recueil Kafkasien!

" C'était si facile d'imiter les gens. Je sus cracher dès les premiers jours. Nous nous chrachâmes désormais à la figure; la seule différence était qu'ensuite je me léchais la face, non eux."


Le mot de la fin


Contrairement à d'autres oeuvres de Kafka qui n'étaient clairement pas destinées à la publication et restaient de ce fait inachevées, ici on a affaire à un recueil de textes beaucoup plus aboutis. Kafka y démontre toute sa virutosité à jouer avec les mots, les situations, et déploie toute son imagination pour nous dépeindre des tableaux absurdes, farfelus, et très originaux, avec toujours beaucoup d'humour et un certain cynisme. Si le recueil dans son intégralité est loin d'être indispensable, La colonie pénitentiaire, en revanche, est un incontournable qui lui donne tout son intérêt! Je le redis, mais sincèrement, si vous ne deviez lire qu'un seul texte de l'ami Kafka, c'est clairement sur celui-ci qu'il vous faut vous jeter!

-----
Avec cette seconde chronique, je mets fin au Challenge Kafka de mon côté, en ayant plus ou moins rempli mes objectifs. ...bon, d'accord, j'ai quatre mois de retard... mais je me suis inscrit super-tard, donc on va dire que ça passe, non? Et puis en plus, j'aime pas les dates...


-----

(Au fait, je me rends compte que j'appelle toujours Kafka, "l'ami Kafka"... Si quelqu'un a une explication, je suis preneur...)
____________________

* Mais j'ai une bonne excuse: j'attendais quelqu'un. Par contre, j'avais eu le malheur d'avoir déjà payé mon billet, et ces bran marauds n'ont pas voulu me rembourser. Je ferai plus gaffe, la prochaine fois.
** Petite anecdote au passage (sérieuse, pour une fois) il arrivait à Kafka de lire ses textes à voix haute à ses amis, des lectures, qui, croyez-le ou non se faisaient sous le signe de la franche rigolade, aussi bien pour l'auteur-lecteur que pour son public! Comme quoi...
____________________