mardi 19 août 2014

Pause jus de pomme-lecture: La Compagnie noire, de Glen Cook

"Depuis des siècles, les souvenirs de la Compagnie noire sont consignés dans les présentes annales. Depuis des siècles, la troupe se loue au plus offrant, et les batailles qu'elle a livrées ont déjà rempli maints volumes. Jamais pourtant elle n'aura traversé de période aussi trouble. Entrée au service de la Dame et de ses sorciers, la Compagnie participe à l'une des plus sanglantes campagnes de son histoire. Les combats incessants, la magie noire qui empuantit l'air... bientôt les hommes tombent comme des mouches, et ceux qui restent debout se demandent s'ils ont choisi le bon camp. Ce sont des mercenaires dépravés, violents et ignares, sans foi ni loi, mais même eux peuvent avoir peur, très peur..."

   
      Infos complémentaires:
      Série: Les Annales de la Compagnie Noire (I)
      Auteur: Glen Cook 
      Titre original: The Black Company (1984)
      Traduction par Patrick Couton
      Edition: J'ai lu SF (2004)
      Nombre de pages: 380



En matière de dark fantasy - et même à vrai dire, de fantasy tout court - le cycle des Annales de la Compagnie Noire passe depuis longtemps pour une référence, pour le traitement original de son écriture et de son intrigue. Après en avoir lu et entendu nombre d'éloges, j'ai fini par décider de m'y coller, il y a de ça quelques années, alors que je cherchais justement à satisfaire mon appétit de fantasy. Il m'a pourtant fallu attendre, ne parvenant pas à trouver le premier tome*, et c'est il y a seulement quelques mois que j'ai finalement réussi à lui mettre le grappin dessus. 
Après autant de patience, j'aurais dû sauter sur le livre et le dévorer avec apétit, mais à cause d'une période très chargée, lourde en stresse et "boulot", ma lecture s'est trouvée prolongée sur près d'un mois et demi - de juin à mi-juillet! Ce ralentissement et mes préoccupations d'alors ont peut-être joué un rôle sur mon ressenti final, mais c'est très souvent - toujours? - le cas (vous savez, l'inconscient, et toutes ces bêtises...). Toujours est-il que le bouquin, je l'ai lu, aussi, il est inutile de tergiverser plus longtemps. 


Dans ce premier tome des Annales de la Compagnie noire, nous faisons donc connaissance avec la dite compagnie, une troupe de mercenaires au service du syndic dirigeant la cité de Béryl. Une ville qui n'a pas grand-chose à envier au Quartier des Ombres d'Ankh-Morpok, si vous voyez ce que je veux dire. Mais, alors que l'on commence tout juste à se familiariser avec le lieu, des troubles surviennent, et la Compagnie, trahissant le contrat qui la lie à Béryl pour un autre plus alléchant, se retrouve au service de la Dame et de ses dix Asservis. Des êtres surnaturels, dotés de puissants pouvoirs qui recommencent à sévir dans le Nord, après un sommeil forcé de plusieurs siècles, et rencontrent une farouche opposition. En effet, soucieuse de reconquérir ses terres, la Dame a vu se soulever contre elle une armée de rebelles. Dans cette campagne longue et fastidieuse, elle a donc requiert l'aide de la Compagnie. Mais la crise s'étend jusqu'au sein même de son entourage, puisque certains des Immortels semblent prêts à la trahir pour rejoindre un camp plus prometteur.

On peut dire en tout cas que c'est de la dark fantasy pure et dure. L'ambiance y est suffisamment sombre pour que le livre puisse y prétendre: niveau combats violents, coups bas, trahison et magie noire, dans ce premier tome, avec une touche d'humour pour alléger le tout, j'ai été bien servi! L'univers est également loin d'être manichéen, et les notions de Bien et de Mal se trouvent souvent remises en question. Les personnages eux-mêmes, à commencer par la troupe, sont aussi bien loin des idéaux de vertu traditionnels, même si quelques membres, dont le narrateur, Toubib (le médecin, pour ceux qui en doutaient), font preuve d'un semblant de conscience morale - surtout Toubib, à vrai dire. La Dame et les Asservis eux-mêmes, bien que n'hésitant pas à se montrer horribles dans leurs actes (mais ils ont une excuse, ils sont surpuissants ET maudits) n'en restent pas moins des êtres humains, avec leurs ambitions, leurs sentiments - souvent atrophiés - leurs qualités et leurs défauts. De toute manière, les membres de la troupe ne sont pas blancs comme neige non plus, pas plus que les rebelles, qui au contraire des autres restent assez manichéens dans leur attitude vis-à-vis de la Dame et de ses partisans. (c'est elle la méchante et eux les gentils!)

Une illustration bien sympa de Toubib.
Je le voyais quand même moins vieux.
Si l'aspect dark fantasy du roman m'a plu, en revanche, j'ai eu un peu plus de mal avec l'écriture. Glen Cook a pris le parti d'écrire son oeuvre comme les "véritables" annales de la compagnie, ainsi rédigées à la première personne par l'un des membres de la troupe, à savoir ici Toubib. De ce fait, on a une vision assez subjective des évènements, et les ellipses ne sont pas rares, comme dans un journal de bord où l'on omet généralement les faits peu marquants pour se concentrer plus en détail sur les autres. Le style un peu rugueux quant à lui, reflète bien à mes yeux le côté dark fantasy du roman. Mais l'originalité de l'écriture de Glen Cook réside également dans l'absence quasi-totale de descriptions, au sein d'un genre qui d'habitude ne s'en prive pas. Après tout, le narrateur est censé déjà connaître les personnages qui l'entourent, de même que les différents lieux qu'ils parcourent - qui a besoin de décrire Paris aux français?
Pour les personnages, cela ne m'a pas tellement dérangé - rien de tel que de les voir en action pour s'en faire une opinion. Pour les lieux, un peu plus. J'ai ainsi souvent eu du mal à m'y retrouver, à situer tel ou tel endroit par rapport à tel autre, bringuebalé d'un bout à l'autre de la carte tel la Compagnie.

Sans doute à cause de ce choix de narration (zero description et ellipses importantes en tête), j'ai également trouvé le récit un peu confus au début. Il faut dire que j'étais un peu en manque de repères, et j'aurais bien été incapable de décrire avec précision l'enchaînement des évènement du premier chapitre. (oui, oui, à ce point!) En fait, il m'aura fallu attendre la poursuite du Boîteux, l'un des Immortels renégats, pour que je commence à vraiment accrocher - après pratiquement 120 pages, tout de même!

Pour en revenir à la narration, il me paraît intéressant de rappeler qu'étant laissée aux mains d'un des membres de la Compagnie, elle est subjective. De ce fait, le narrateur se concentre davantage sur les évènements qu'il a vécus et qui l'ont marqué.  Toubib, en tant que médecin, ne participe pas aux combats, du moins pas directement, mais il n'hésite jamais à prendre volontairement part aux missions confiées par la Dame, (et heureusement pour nous, sinon, il n'y aurait pas grand-chose à lire!) et qui concernent souvent l'élimination des Asservis soupçonnés de trahison.
Ce premier tome se concentre ainsi davantage sur la lutte contre les Asservis dissidents, passant sous silence
Sur celle-ci, on reconnaît bien le Capitaine!
nombre d'autres combats, voyages et sièges, ce qui là encore m'a parfois un peu destabilisé, et, je dois dire, gâché l'immersion. On peut ainsi se retrouver d'une ville enneigée à un camp, dans une région à l'autre bout du pays, et quelques semaines plus tard, en quelques lignes à peine - parfois même sans transition. Ces ellipses importantes sont certes un choix de l'auteur, mais j'ai trouvé cela, au début du moins, assez gênant. 
En revanche, un point que j'ai trouvé très intéressant avec certaines de ces ellipses, c'est qu'elles permettent de relativiser les "victoires" de la Compagnie. En effet, même après une mission réussie par quelques membres de la troupe, une victoire dans un combat, ou un supposé dissident éliminé, il n'est pas rare qu'au paragraphe suivant, on retrouve notre bande de mercenaires sur les routes, en pleine fuite à cause d'une défaite des armées de la Dame. Ce qui nous rappelle qu'au fond, nos "héros" sont des humains comme les autres, noyés au sein de la multitude des hommes et que leurs actions peuvent n'avoir aucune influence directe sur la suite des évènements. En ce sens, c'est très différent de la high ou de l'heroic fantasy, où les choix et les actions d'un seul héros décident de l'avenir du monde. (en gros, pour reprendre une fameuse expression, ce n'est pas parce qu'une bataille est gagnée que la guerre l'est)
Je ne sais pas si c'est très clair, mais en tout cas, c'est comme ça que j'aime à l'interpréter.

Pour terminer sur un point positif, j'aimerais citer les personnages, qui sont clairement pour moi l'un des points forts de ce volume. Même au sein de la troupe, tous ne m'ont pas marqué - les âneries de Gobelin et Qu'un-Oeil, les deux sorcier, m'ont laissé plutôt indifférent. Mais ceux que j'ai appréciés ont largement contribué au ressenti positif globale que j'ai eue de La Compagnie noire. Ainsi, je me suis beaucoup attaché au personnage de Toubib, le médecin-narrateur au coeur trop tendre, humaniste, un peu rêveur et poète à ses heures perdues, qui fait vraiment décalé au milieu de ses compagnons, disons, plus... rudes! Au sein de la Compagnie, j'ai aussi su apprécier le blasé mais sympathique Lieutenant, le bougon Elmo, le froid et solitaire Corbeau, finalement plus sentimental qu'il n'y paraît.
Du côté des Asservis, s'ils m'ont globalement un peu déçus, car défaits trop facilement/rapidement à mon goût pour des êtres de cette trempe, ou disparus trop vite pour qu'on j'ait pu les découvrir réellement, quelques-uns ont toutefois toute ma sympathie. Nottamment le taciturne Transformeur. Le mystérieux Volesprit, à l'humeur changeante qui fait office d'émissaire de la Dame auprès de la troupe, l'accompagnant à maintes reprises lors de missions, et allant jusqu'à ouvrir - parfois - son coeur à Toubib, m'a également beaucoup plu. De même que la Dame en personne, cette sombre femme, glaciale mais élégante, terrifiante mais superbe, qui n'hésite pas à éliminer sa propre soeur et évincer son mari pour assouvir ses ambitions.
En résumé, une bien belle brochette de personnages hétéroclites pour ce premier tome!

En cherchant un peu, on peut trouver tout un tas de chouettes artworks
 sur le thème de la Compagnie noire!

Le mot de la fin


Le bilan de ce premier tome des Annales est un peu mitigé - mais tendant vers le positif, tout de même. Alors oui, comme je l'ai souvent entendu ou lu, c'est différent de ce qu'on trouve habituellement en fantasy, mais sans doute pas autant que je l'avais imaginé. Peut-être parce que nombre d'auteurs sont aussi passés par là, depuis, même si ça fait du bien de temps en temps d'avoir les bad guys du côté des personnages principaux. Niveau dark fantasy en tout cas, ce roman a tous les éléments de son côté, entre trahisons, magie noire, ketchup à tous bouts de champs, et absence de tout manichéisme. Cet aspect-là, et une galerie de personnages que j'ai trouvé très intéressants, j'ai beaucoup apprécié, je dois dire. En revanche, Je n'ai pas été vraiment sensible à l'humour du livre, même s'il était nécessaire je pense pour alléger le tout. J'ai également eu du mal avec le type de narration choisi, nottamment avec un début que j'ai trouvé assez confus.   J'ai tout de même sur la fin beaucoup plus accroché, et nul doute que je lirai la suite avec plaisir - elle m'attend d'ailleurs déjà dans ma bibilitothèque! Malgré un ressenti mitigé, un bon cru, donc. A lire, même s'il lui manque toujours à mes yeux un petit quelque chose pour le faire passer au rang de titre véritablement incontournable.
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Et hop, déjà une première participation pour le Challenge Dark Fantasy, organisé par Zina!


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*Les commandes Internet, c'est pour les faibles ou les jeux vidéos.**
**Je dis ça, mais en fait j'aime bien de temps en temps recevoir un beau petit livre longtemps attendu par la poste. Ça a des allures de cadeau, et puis, ça fait toujours plaisir de recevoir dans sa boîte aux lettres quelque chose qui n'est pas une facture ou de la publicité pour la boucherie du coin.
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2 commentaires:

  1. Ils sont dans ma PAL depuis bien trop longtemps... le challenge Dark Fantasy sera aussi l'occasion pour moi de me lancer ! :)
    (Du coup je n'ai pas tellement lu ta chronique pour ne pas être influencée ^^)

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    1. Ah ah! :) Je comprends, c'est vrai que ça m'arrive aussi des fois, lorsque je lis les chroniques des autres sur un livre que je lis/ai lu!
      En tout cas, c'est un peu un "passage obligé" (mais qu'on n'est tout de même pas obligé de prendre, parce que, zut, on fait ce qu'on veut) en matière de dark fantasy, à cause de son statut de "référence".
      Un peu comme "Le trône de fer" de nos jours, en fait, que désormais même les non-amateurs de fantasy se mettent à dévorer. ('fin, "La Compagnie noire" est tout de même davantage lue par des "adeptes" de la fantasy...)

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