[Relecture] Le Seigneur des Anneaux, tome 1 : La Fraternité de l'Anneau, de J. R. R. Tolkien (The Lord of the Rings : The Fellowship of the Ring, 1954)
Notes avant lecture : il s'agit d'une chronique assez particulière puisque contrairement à mon habitude, j'y parle d'une relecture avec nouvelle traduction, et non d”une première lecture/découverte. J'y aborde donc finalement assez peu le texte en lui-même, il faudrait davantage considérer cette chronique comme le compte-rendu un peu foutraque de cette petite expérience. Vouala. Vous pouvez poursuivre, maintenant, ou partir si vous préférez. (mais si vous faites ça je pleure)
Francis Ledoux : ancien traducteur
Daniel Lauzon: nouveau traducteur
(c'est de toute façon ré-expliqué au cours de la chronique, mais je préfère préciser, on ne sait jamais)
Depuis sa publication en 1954-1955, le récit des aventures de Frodo et de ses compagnons, traversant la Terre du Milieu au péril de leur vie pour détruire l’Anneau forgé par Sauron, a enchanté des dizaines de millions de lecteurs, de tous les âges. Chef-d’œuvre de la fantasy, découverte d’un monde imaginaire, de sa géographie, de son histoire et de ses langues, mais aussi réflexion sur le pouvoir et la mort, Le Seigneur des Anneaux est sans équivalent par sa puissance d’évocation, son souffle et son ampleur. Cette nouvelle traduction prend en compte la dernière version du texte anglais, les indications laissées par Tolkien à l’intention des traducteurs et les découvertes permises par les publications posthumes proposées par Christopher Tolkien.
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" Quand M. Bilbo Bessac, de Cul-de-Sac, annonça qu'il célébrerait bientôt son onzante et unième anniversaire par une fête d'une magnificence exceptionnelle, il y eut force agitation et rumeurs à Hobbiteville.
Bilbo était très riche et très particulier, et il y avait soixante ans que le Comté s'étonnait de lui, depuis sa remarquable disparition et son retour inattendu. "
Origine : Angleterre
Traduction : Daniel Lauzon (2014)
Edition : Christian Bourgois (2014)
Je suis un amoureux de Tolkien et du Seigneur des Anneaux. En tant que tel, il m'arrive assez souvent de revenir feuilleter les appendices, ou de relire certains passages que j'aime particulièrement. Pour autant, je ne l'avais jamais relu en intégralité, et étant curieux de toucher à la nouvelle traduction de Daniel Lauzon, j'ai profité de l'occasion qui s'est offerte à moi (disponibilité à la médiathèque, oui c'est aussi bête que ça) pour sauter le pas et relire La Communauté de l”Anneau - ou plutôt La fraternité de l'Anneau, devrais-je dire ! Cette chronique sera donc un peu particulière, puisqu'il s'agit non pas d'une découverte, mais d'une redécouverte pour moi.
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On retrouve des lieux bien connus des lecteurs de Tolkien, toujours dans une ambiance forestière typique de ce tome. (Oui, comme je suis quelqu'un de très original, j'illustre avec du Alan Lee) |
Pour resituer un peu le contexte, Le Seigneur des Anneaux avait été traduit en français une première fois dans les années 70 par Francis Ledoux, mais cette traduction n'avait pas été corrigée depuis, laissant planer pas mal de coquilles, d'approximations ou de contresens, principalement dus au manque de temps et d'informations dont disposait Ledoux pour faire tout le travail (un an environ pour tous les livres, c'est tout de même bien peu...) Il aura fallu attendre les années 2010, pour que les éditions Christian Bourgois se décident à proposer une nouvelle traduction en faisant appel à Daniel Lauzon (qui avait auparavant transposé d'autres ouvrages autour de Tolkien et de la Terre du Milieu, dont une nouvelle version du Hobbit), traduction qui avait pas mal divisé à l'époque de son annonce, notamment sur le choix des noms. Je dois bien avouer d'ailleurs que pour ma part, en amateur du travail de Ledoux (malgré les bourdes), j'étais également un peu dubitatif... Mais la curiosité étant plus forte que tout, et puisqu'il ne faut jamais s'arrêter à des impressions superficielles généralement fausses... bref, vous connaissez la suite. Qu'en est-il donc de mon avis d'ermite grincheux non linguiste et souvent de mauvaise foi sur cette nouvelle traduction ?
Gros morceau s'il en est!
Une chose qu'on ne peut pas enlever à Lauzon, et c'est peut-être le gros point fort de cette traduction, il dépoussière véritablement le texte de Tolkien. Même s'il m'est parfois arrivé de regretté le côté un peu «solennel» qu'on pouvait trouver chez Ledoux, il faut bien admettre que la lecture des premiers chapitres en Comté se fait ainsi de manière bien plus fluide et sans lourdeurs, on retrouve le rythme et la légèreté de la plume de Tolkien dans cette première partie «hobbite» (ayant survolé une partie du début en vo, je peux confirmer ce point). Je ne sais pas d”ailleurs si c”est grâce à Lauzon, ou si c'est juste que je l'avais moins remarqué, voire oublié lors de ma première lecture, mais le livre est en fait bourré d'humour, surtout grâce aux hobbits et à la Comté à vrai dire (enfin, je devrais plutôt dire au Comté dans le cas présent). Un humour somme toute très anglais, un peu discret, mais très présent, et d'autant plus appréciable que la première partie est par ailleurs très coolos-glandouille.
C'est peut-être le reproche principal que je ferai au texte-même de Tolkien dans cette chronique, et qui fait qu'encore aujourd'hui c'est le tome vers lequel je me tourne le moins lors de mes petites séances «relecture» : la petite randonnée pédestre en contrée hobbite et dans les Terres Sauvages n'est pas désagréable en soi, mais a parfois un peu tendance à empiéter sur l'aspect aventure et le rythme du récit. La notion d'urgence ou de danger se fait rarement sentir - bon, cela vient aussi en grande partie du caractère des hobbits, on ne va pas se le cacher... - et plusieurs fois, je sentais l'âme de Gandalf planant au-dessus de moi, désireuse de botter le train de ces maudits semi-hommes afin qu'ils se dépêchent un peu en prenant conscience du péril qu'ils encouraient... Il faut en fait attendre la Moria pour que les choses évoluent, et les livres suivants (réunis dans Les Deux Tours et Le Retour du Roi) pour que le récit prenne toute son ampleur.
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L'Argonath (ici illustré par John Howe) est un autre de ces témoins des Temps jadis. |
Cela dit, cette petite escapade, avec tous les détours qu'elle sous-entend, permet tout de même, à la manière des Hobbits, d'apprécier en toute simplicité l'ambiance et le paysage de la Terre du Milieu, avec de très belles descriptions, mais aussi chansons, poèmes, histoires... C'est là qu'une redécouverte s'imposait pour moi : La Communauté de l'Anneau était mon premier Tolkien (je n'ai lu Le Hobbit qu'après-coup, avant d'attaquer Les Deux Tours) de fait je ne connaissais l'univers qu'à travers le prisme des adaptations (films, jeux vidéo notamment) et des infos que j'avais glanées par-ci par-là dans quelques guides ou sur le net. Étant désormais bien plus familier avec l'œuvre de l'auteur, cette relecture m'a permis de voir l'histoire d'un oeil nouveau : j'ai enfin pu apprécier à leur juste valeur les références au Silmarillion, au Hobbit, et tout simplement à l'Histoire passée de la Terre du Milieu, qu'on peut retrouver via ces poèmes, chansons, mais parfois aussi dans des anecdotes, des dialogues, des personnages. C'est ainsi qu'on découvre avec bonheur les nombreux clins d'œil au Hobbit, notamment, et c'est un plaisir de retrouver, même si c'est de courte durée, ce cher vieux Bilbo, bien sûr, mais aussi certains des Nains ayant participé à l'aventure, que ce soit en chair et en os, à savoir Glóin, ou bien par petites allusions sympathiques, tels Bombur ou Balin. On n'en partage d'ailleurs que plus le chagrin de Gimli lorsque la communauté découvre le tombeau de ce dernier dans la Moria, puisque l'on a nous aussi connu le vieux Nain.
Certains autres personnages prennent d'ailleurs une nouvelle ampleur, tout juste soupçonnée lors de la première lecture, qui les fait voir sous un autre jour et permet d'éclairer davantage leur comportement, leur caractère, et tout ce qui les entoure - Galadriel et Elrond notamment, pour ne pas les citer, et même les Elfes de manière générale, tant que j'y suis. La nostalgie des Jours Anciens, la tristesse et l'inéluctabilité de leur destin, leur vécu lors des Premiers Âges, la transformation du monde, la chute des civilisations, la perte d'être chers, en ayant finalement vécu avec eux tout cela lors de mes autres lectures Tolkiennesques, j'ai appris à les apprécier d'une manière différente, plus «profonde», plus «riche» peut-être (même si ça ne veut pas dire grand-chose) que la première fois. Tout comme Bilbo avec le Hobbit et le Seigneur des Anneaux, ils sont un peu le lien qui rattachent les différentes œuvres, Silmarillion en tête, bien qu'ils aient des rôles finalement assez secondaires (pour Gala', ça tient même plutôt de la figuration) dans les autres écrits. Ça n'a l'air de rien, mais ça fait finalement assez plaisir, et contribue à la cohérence de cette grande toile tissée par le Professeur d'un livre à l'autre que sont la Terre du Milieu et son Histoire.
En dernier point avant de conclure cette chronique qui part décidément dans tous les sens, un petit mot sur la traduction des noms, qui a fait couler beaucoup d'encre et a déchaîné les plus vives passions alors que cette nouvelle version du texte n'était même pas encore sortie. On ne va pas se mentir, malgré une volonté admirable de respecter l'esprit de la version originale dans cette nouvelle traduction, je resterai toujours attaché et habitué à celle de Ledoux, comme beaucoup de personnes, du reste. Néanmoins, il serait de mauvaise foi de ne pas reconnaître les grandes qualités du travail de Lauzon, aussi bien sur la prose et les poèmes d'ailleurs que sur ces noms, d'autant qu'il permet de corriger pas mal de coquilles, erreurs, fautes de frappes et autres, qui jusqu'ici ne l'avaient pas été. Pour les noms, donc, question d'habitude, je suppose, mais pour moi, ça dépend vraiment. Pour certains, ça passe crème, et j'ai fini par m'habituer à ces nouvelles versions, pour d'autres... meh.
Finalement, pour moi, que ce soit au niveau des noms ou du reste, les deux versions en viennent à cohabiter, aucune ne supplantant vraiment l'autre, chacune avec ses qualités et ses défauts, bien que la première garde une place particulière dans mon coeur par l'attachement que je lui porte. Je suis en tout cas bien content d'avoir pu effectuer cette relecture de La Communauté/Fraternité avec le travail de Lauzon, voilà qui m'a permis de faire d'une pierre deux-coups. Prochaine étape (peut-être), du full VO? :p
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Parce que Tolkien illustré, ce n'est pas que Lee, Howe et Nadsmith, voilà une chouette version du Conseil d'Elrond à la manière d'une Cène byzantine, de l'artiste ukrainien Sergueï Yuhimov (qu'on trouve dans l'édition russe de 1993 du texte) |
Étant donné qu'il s'agit d'une redécouverte, avec une nouvelle traduction, ce petit bilan sera un peu différent de d'habitude. Le dépoussiérage du texte après d'autres lectures a bien fonctionné sur moi (et s'est même trouvé plus efficace que prévu, car la connaissance des autres œuvres apporte vraiment un regard nouveau, bien plus que de simples allusions et clins d'œil) même s'il a par ailleurs confirmé que c'était effectivement le tome de la trilogie que j'aimais le moins. Le Seigneur des Anneaux reste néanmoins un must read pour tout amateur de fantasy, ne serait-ce que pour la culture. Les chtits conseils de tata Josette maintenant, au regard de cette petite expérience de relecture : Si vous avez débuté Tolkien par Le Hobbit ou Le SdA, je vous encourage à faire de même une fois que vous aurez lu au moins le Silmarillion, beaucoup de choses prennent un nouvel éclairage.
Si vous êtes plutôt nouveau lecteur du SdA, j'aurais tendance à plutôt vous encourager la nouvelle traduction, qui dépoussière pas mal le texte tout en corrigeant pas mal d'erreurs de la première (Francis, sache que je te kiffe quand même mon poto). Si vous êtes déjà familiers des différentes adaptations reprenant généralement la version de Ledoux, ne vous laissez pas décourager par tous les noms différents: même si certains passent toujours assez mal, on finit par s'y habituer sans problème au bout d'un moment. Voilà. Je crois que c'est tout.