dimanche 25 janvier 2015

C'est l'heure du conte nordique de Papi Tolkien! Yay!

La légende de Sigurd et Gudrún, de J.R.R. Tolkien
(édité, annoté et commenté par Christopher Tolkien)

La Légende de Sigurd et Gudrún nous donne accès à l'imaginaire nordique de J.R.R. Tolkien. Ces deux poèmes - "Lai des Völsung" et "Lai de Gudrún" - écrits au début des années 1930, racontent les légendes nordiques de l'Ancienne Edda, les combats de Sigurd, la mort du dragon Fáfnir, l'histoire tragique de Gudrún et des ses frères, tués par la malédiction de l'or d'Andvari.

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"Of old was an age 
when Odin walked 
by wide waters 
in the world's beginning..."


      Infos complémentaires:
     Titre original: The Legend of Sigurd and Gudrùn (2009)
     Origine: Royaume-Uni
     Traduction par Christine Laferrière (2010)
     Edition: Pocket - Fantasy (2013)
     370 pages



Attends, c'est quoi cette couverture allemande
qui déchire tout? Je veux la même!
Je n'apprécie guère le côté résolument fermé de Christopher Tolkien à toute adaptation de l'univers de son père - alors même que ce dernier avait dans les années 1960 donné son feu vert pour une adaptation au cinéma, un projet qui finalement n'a pas abouti. Néanmoins, je reconnais, et même j'admire, le remarquable travail qu'il effectue depuis quelques dizaines d'années pour dépoussiérer les vieux textes de son père, travail d'autant plus notable qu'il ne se contente pas seulement de les trier, mais aussi, et surtout de les annoter généreusement, les commenter, les "traduire" en quelque sorte. Une sorte d'hommage formidable du tout premier fan de la Terre du Milieu à son créateur - et surtout, son propre père. La légende de Sigurd et Gudrún ne déroge pas à la règle, et c'est accompagné du fils qu'une fois de plus, nous nous plongeons dans les écrits du père.

Avec un souffle épique digne des grands textes dont il s'inspire, à commencer par l'Ancienne Edda, Tolkien nous conte ainsi l'histoire du clan des Völsung et de leur destin tragique, de la malédiction de l'Or d'Andvari à la romance interdite entre Signý et son frère Sigmund, en passant par l'affrontement de Sigurd et du dragon Fafnir, sans oublier la trahison de la Valkyrie Brynhildr et le sacrifice de Gudrún, le tout avec moults combats et chevauchées dans la plaine et la forêt. C'est tout un pan de la mythologie nordique que l'on est amené à découvrir, et les références au Ragnarök, au Valhalla, aux neufs mondes et leurs habitants pullulent. Les dieux d'Asgard, ont d'ailleurs leur rôle à jouer dans l'histoire, et je ne compte plus les apparitions d'Odin sous son costume de vieillard. Avis donc aux amateurs de culture norroise!


Inspirées des gravures ornant l'ancienne église de Hylestad (Norvège), les rares et sobres mais 
sympathiques illustrations de Bill Sanderson renvoient aux origines médiévales de l'Edda.

Si cette fois, on quitte Arda pour notre bonne vieille Terre, le dépaysement n'est pas si total qu'on pourrait le croire. Le voyage a en effet des allures de retour aux sources, puisque c'est là qu'on se rend véritablement compte de la passion et de la connaissance qu'avait J.R.R. Tolkien des mythes nordiques et de la façon dont il les a ensuite réinterprétés, puis réutilisés pour son propre univers. Prenons l'exemple du dragon Fáfnir, gardien du trésor maudit: son traitement par Tolkien, la façon dont il s'adresse à Sigurd, ses paroles, son caractère méfiant et clairvoyant à la fois, qui d'un seul coup d'oeil parvient à lire l'esprit du héros; j'avais l'impression d'avoir là une véritable ébauche du dragon Smaug et de sa confrontation avec Bilbo. D'autres récits de la Terre du Milieu empruntent également énormément à ces légendes, tels que Les enfants de Hurín - le dragon Glaurung et Turín ressemblent énormément à Fáfnir et Sigurd - et en lisant cet ouvrage, on ne peut que le constater, encore une fois.

Pépé Odin jouant les Merlin avant l'heure, dans
le hall des Völsung. Un gribouillage d'Alan Lee.
Mais au delà de son aspect "fondateur", le texte est bien évidemment également intéressant pour lui-même. Dans ces deux lais - de longs poèmes à la métrique particulière - Tolkien exprime toute sa passion pour la poésie nordique mais surtout sa connaissance de la linguistique et sa maîtrise des mots. Les commentaires de Christopher Tolkien permettent bien de rendre compte de la masse de travail réalisé en amont par son père pour tenter de retranscrire les codes et la force de la poésie scandinave médiévale. Et effectivement, à leur lecture, bien que n'étant pas un spécialiste en la matière, j'ai pu constater moi-même l'incroyable richesse de ces lais. Les mots employés, les sonorités, on sent que tout a été mûrement réfléchi, et c'était un régal ,en tant qu'ancien théâtreux, de lire ces textes à voix haute, pour le simple plaisir de la langue. Quand bien même je ne comprenais pas toujours tout, étant donné mon niveau pas super-topissime (quoique néanmoins respectable) dans la langue des Monty Pythons. A ce propos, je salue le choix de la traductrice d'avoir mis face à face le texte en VO et sa traduction-adaptation qui a tenté de retranscrire l'esprit et la force du texte pour la langue française - bel exercice, d'ailleurs, les deux langues n'ayant finalement que peu de choses en commun sur ce plan. Certes, la traduction est en ce sens un peu libre, mais c'est justement chose permise par ce jeu de "textes en miroir". Et en plus, comme ça, on peut progresser en anglais.
Par le pouvoir de ses mots, Tolkien est ainsi parvenu une fois de plus à m'embarquer dans son univers. Certes, un univers qu'il ne fait "qu'emprunter" cette fois. Cette histoire, on en a tous plus ou moins entendu parler, parfois sans le savoir, souvent sous un autre nom. Vraiment, ça ne vous dit rien? Allez, allez... L'Anneau des Nibelung... Siegfried et le dragon, quand même... Ah! Vous voyez! Hé bien, la légende des Nibelung, ce n'est en fait "que" la version germanique de ce mythe scandinave qu'est la Völsunga Saga. Tolkien fait sien ce mythe en apportant sa propre vision de la légende des Völsung à travers le Lai des Völsungs et le Lai de Gudrún. Il rajoute des éléments, en supprime certains, en réinterprète d'autres, bref, c'est une histoire quelque peu différente de celle que je connaissais que j'ai été amené à découvrir - même si je restais en terrain connu.

J'ai personnellement beaucoup apprécié ces deux lais, je pense que vous l'aurez compris. Toutefois, si le premier, le Lai des Völsungs, qui retrace l'histoire du clan sur plusieurs générations, a tout de la grande épopée dont je pouvais rêver, avec ses multiples personnages, ses interventions divines, ses combats dantesques, je lui préfère le second texte, le Lai de Gudrún, lequel a un côté plus intime, et est plus touchant, aussi. On s'attarde sur cette pauvre Gudrún, qui récupère finalement les pots cassés de la trahison de Brynhildr, en se voyant privée par ses propres frères de celui qu'elle aimait. Elle doit même, tournant le dos à son chagrin et sa rancoeur, épouser en secondes noces le roi des Huns, un sacrifice politique qu'elle accomplit sans protester. Ses frères eux-mêmes connaissent finalement un destin funeste auquel elle se retrouve lié contre sa volonté, pour achever le tableau. Rien de bien folichon. Mais au-delà de l'aspect tragique du texte, ce que j'y ai apprécié, c'est le traitement des trois personnages principaux, à savoir Gudrún et ses deux frères, Gunnar et Hogni.
Le Codex Regius, un manuscrit islandais
du XIIIe, source de l'Edda poétique.
Gudrún est une femme trahie par ses proches, pourtant malgré sa douleur, elle n'hésite pas à se sacrifier pour le bien du clan. Mais, cela ne l'empêche pas par la suite de se battre aux côtés de ses frères, laissant de côté sa rancune pour l'amour fraternel, allant jusqu'à venger leur mort dans un acte suicidaire qu'elle commet de sang-froid, et qui est la véritable apogée de ce second texte. Une vraie héroïne tragique, qui n'a rien à envier à Phèdre ou Médée. Je me suis également attaché aux deux frères, qui bien qu'ayant ourdi le meurtre du mari de leur soeur, ont finalement été autant trompés qu'elle l'a été et tentent de se racheter auprès d'elle, malgré sa répugnance à les voir au début. C'est je crois cet amour fraternel entre les trois protagonistes, malgré leurs malentendus et leur destin tragique, qui m'a le plus touché, et le plus intéressé finalement dans ces deux lais.

Par ailleurs, les commentaires de Christopher Tolkien permettent d'approfondir de nombreuses choses et replacent les deux récits dans leurs contextes - celui de la carrière de son père, et celui de la poésie nordique. Il nous livre ainsi de nombreuses informations sur l'Edda, son histoire, la métrique et la linguistique dans la poésie scandinave médiévale, et inclut même quelques documents de son père. La "Légende" en elle-même occupe en fait un peu moins de la moitié du bouquin, et le nom de Christopher Tolkien devrait même figurer sur la couverture, aux côtés du sous-titre "annoté et commenté". Quoiqu'il en soit, si j'ai parfois eu un peu de mal à voir où le fiston voulait en venir, à cause de la formulation - et parfois la "lourdeur" - de certaines phrases, ses "rajouts" n'en demeurent pas moins très intéressants, et de ce fait, je pense que le livre dans son intégralité peut constituer une sorte d'"introduction à l'Edda" conséquente, pour qui voudrait se plonger dedans.

Le mot de la fin


Les amateurs de l'oeuvre de Tolkien ne peuvent résolument passer à côté de La légende de Sigurd et Gudrún, et j'irai jusqu'à dire que les lecteurs en manque d'aventures scandinaves épiques avec de l'hydromel, des muscles velus, des dieux, des dragons et des traîtres se doivent d'en faire de même. Tolkien maîtrise à merveille la métrique de ses poèmes, et c'est un véritable plaisir à lire à voix haute, pour apprécier la musique de la langue. Grâce au pouvoir des mots, il est ainsi une fois de plus parvenu à me transporter dans une histoire haute en couleurs, parfois touchante, souvent épique, mais qui m'a marqué. Les commentaires et annotations de Christopher Tolkien permettent en outre d'aller plus loin et offrent de nombreuses informations non négligeables sur le travail préparatoire de son père, l'Edda, la poésie norroise, entre autres choses. Un très chouette ouvrage, donc, avec en prime une belle couverture (même si celle de nos sympathiques voisins mangeurs de choucroute poutre tout), une jolie traduction des lais, et de sobres mais sympathiques illustrations.


Si vous appréciez la lecture avec une bonne bande sonore dans les oreilles, je peux vous proposer, histoire de rester 
dans l'ambiance, l'excellent album Runaljod-Gap Var Ginnunga du groupe norvégien Wardruna.


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Et c'est également sans surpirse que j'inclus cette chronique au Challenge Vikings du Vampire Aigri!

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1 commentaire:

  1. Super chronique, tu me donnes envie ! J'adore la mythologie nordique et j'adore Tolkien... alors mêler les deux ne peut que donner quelque chose de bien.
    Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de le découvrir prochainement, mais à ce moment là soit sûr que je penserais à toi ;)

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